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6 mars 2011 7 06 /03 /mars /2011 22:25

                       Manque de travail au Vieux Temple

Cette réunion abordait un thème social majeur, et il a donné lieu à quelques échanges plus véhéments que d’autres Mercredis. Les organisateurs avaient d’abord pensé obtenir le témoignage de Florence Aubenas, qui a rapporté dans « Les Quais d’Ouistreham » son expérience vécue du chômage et de la précarité. Nous recommandons vivement la lecture de ce livre à qui ne l’a pas encore lu. Les apports à la discussion déclinaient des constats similaires aux siens.

La première contribution, de Moussa, analysait l’effet de ce discours qui a voulu poser « la valeur du travail » comme pierre angulaire d’une reconstruction sociale, contre les indolences et les facilités auxquelles la gauche et la société française auraient cédé. Il a souligné le paradoxe de ce discours, intervenant au moment même où l’offre de travail diminuait. Il a montré que son effet et sa fonction objective ont surtout été de culpabiliser chômeurs et précaires : leur situation ne résulterait que d’un manque de pugnacité, de disponibilité, de mobilité ou de compétence. Un problème de caractère massif, collectif, est ainsi imputé individuellement à ses victimes.

La seconde contribution, celle de Marie, responsable du Mouvement national des chômeurs et précaires, a détaillé les dispositifs censés répondre aux besoins des chômeurs. Elle a d’abord rappelé l’ampleur du phénomène, les astuces permettant de le masquer (découpage en catégories diverses de demandeurs d’emploi, oubli des DOM dans les statistiques,…) et les dispositifs conduisant soit à la radiation des demandeurs d’emploi des listes soit à leur découragement pur et simple. On peut ainsi estimer à 7 millions le nombre des personnes en attente d’emploi. Elle a aussi rendu compte de la réalité de la vie des précaires. Elle a décrit les missions impossibles assignées aux agents du Pôle Emploi, qui n’ont qu’un temps dérisoire à consacrer à chaque chômeur, et de fait servent plus d’appareil de contrôle-radiation que de remise à flot.  Enfin les limites des dispositifs RSA ont été analysées.

De la salle sont venus des témoignages corroborant ces analyses : stages humiliants, de pure gymnastique, ou d’apprentissage du mensonge (comment se vendre avec aplomb). La difficulté particulière du chômage pour les femmes a été soulignée. L’impact d’un chômage massif sur les conditions de l’exercice du travail lui-même avait été signalé par le texte introductif à la réunion. Le chômage induit  à la fois soumission (« si vous n’êtes pas content, les portes sont ouvertes, il y en dix qui attendent votre place ») et angoisse de ceux qui ont un emploi. Les enfants sont éduqués dans cette inquiétude, avec plus ou moins de confiance dans leurs chances selon le milieu où ils grandissent. On a aussi évoqué l’empreinte forte sur les enfants du chômage durable de leurs parents.  Des personnes ont évoqué les initiatives de type associatif d’aide aux chômeurs auxquelles ils participent, et qu’ils trouvent réciproquement enrichissantes. Mais on a quand même entendu des opinions divergentes : aux yeux de certains les demandeurs d’emploi auraient des exigences excessives, tels ceux qui refuseraient des offres insatisfaites (dans le bâtiment et la restauration, de fait aujourd’hui eux aussi touchés par la crise).  

Le problème du chômage a peut-être été abordé surtout dans sa dimension d’urgence, sous l’aspect de son traitement, plutôt que comme phénomène dont on interrogerait les causes et l’inéluctabilité. Faut-il simplement en appeler à une meilleure prise en charge des chômeurs, plus humaine, assortie d’allocations plus généreuses ? Le revenu minimum d’existence envisagé dans les années 80 est-il encore d’actualité dans le cadre de la globalisation concurrentielle qui assèche les ressources financières  de nos Etats ? Quels facteurs ont imposé  ce passage du plein emploi à la raréfaction du travail ?  Faut-il se contenter de dire, comme certains, qu’« on a changé de paradigme », qu’on est entré dans une ère nouvelle, plus exigeante pour les individus, qu’il faudrait mieux former à cet état de guerre ? Peut-on remettre en cause les modalités d’une mondialisation sauvage qui expose les moins qualifiés à la concurrence des coûts de production des pays émergents ? Faut-il attendre une égalisation des salaires à la surface du globe, en comptant sur les hausses de salaires qu’obtiendront un jour les ouvriers chinois ? Peut-on compter sur notre supposée « avance technologique » pour en distribuer les dividendes à des masses croissantes d’inactifs ? La redistribution des bénéfices de la spéculation financière y suffirait-elle ? Mais parallèlement à ces déplacements du travail vers les zones asiatiques, n’y a-t-il pas aussi une réduction globale du besoin de travail simple, réduction permise par les progrès techniques? L’humanité fait sans doute face à un problème à plusieurs dimensions : quels travaux sont vraiment nécessaires, quels autres travaux pourraient être repérés comme utiles, où employer des personnes peu qualifiées, quelle division internationale du travail faut-il accepter, quel partage des activités dans chaque société (entre classes d’âge par exemple), avec quel partage de la richesse produite ? Saurions-nous travailler un nombre significativement réduit d’heures ou de jours ? Quelle place doit-on faire au bénévolat ? Chantier sans doute trop vaste pour les voûtes pourtant si hautes du Vieux Temple.
La soirée a connu quelques échanges tendus. Les citations humoristiques trouvées par Béatrice faisaient, in fine, revenir un fragile sourire.

 

Note :  Un article remarquable d'une des participantes à cet échange peut se lire ici : http://arille.over-blog.com/article-je-voulais-parler-du-chomage-68628634-comments.html#anchorComment

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